La formation des concepts
Comment se forment en nous les concepts?
1. A partir de nos contacts
Par l'intermédiaire de nos sens,
nous avons une perception
de ce qui nous environne. Nous nous en formons des représentations.
On ne connaît pas encore dans le détail la manière
dont procède notre cerveau pour élaborer des concepts,
mais il devient certain qu'une grande partie d'entre eux sont formés
à partir de ces représentations, et donc des messages
de nos sens.
Il faut rappeler que notre cerveau
est un énorme ensemble de cellules spécialisées
dans la communication: les neurones.
Ceux-ci sont en mouvement perpétuel: ils nouent et dénouent
leurs contacts mutuels à une vitesse inimaginable.
Le cerveau de l'homme est beaucoup plus doué que celui des
autres êtres vivants pour la formation des concepts, car il
est plus volumineux et plus complexe. L'évolution
a doté le cerveau d'une certaine structure, commune à
tous les êtres humains.
Les messages des capteurs de nos sens sont acheminés vers
des zones particulières, que Edelman, dans son beau livre
"Biologie de la conscience" (Odile Jacobs, 1992), appelle
des "cartes".
A force de recevoir certains de ces messages, les neurones finissent
par se structurer davantage, d'une manière qui est propre
à chaque homme. Il se forme des groupes de neurones. Des
connexions s'établissent entre ces groupes et entre ces cartes.
Il se forme ainsi des boucles, le message d'un groupe servant à
son tour d'entrée au groupe même qui l'a excité.
Mettant à profit les câblages de notre cerveau, les
cartes combinent leurs activités neuronales. Il suffit alors
de deux (importantes) capacités supplémentaires pour
permettre au cerveau de former des concepts.
Premièrement, une capacité de mémoire.
Il faut que des messages identiques puissent être reconnus
comme tels. Cela suppose une certaine permanence des structures
de neurones, que ces messages peuvent alors reparcourir et reconnaître.
Deuxièmement, une capacité, pour le cerveau, prenant
en quelque sorte du recul, de classer ses propres activités
en catégories, ce classement pouvant ensuite être fixé
par des mots du langage et dès lors partagé avec d'autres
hommes.
2. Et cela se complique
Puisque le cerveau est capable, en quelque sorte, de se regarder
lui-même pour former des concepts, rien n'empêche qu'il
se regarde en train de se regarder, formant ainsi des concepts de
concepts et progressant vers de plus en plus d'abstraction:
comme les concepts classent
les objets en catégories,
les concepts peuvent aussi classer des concepts.
Par cette voie, le cerveau peut produire une pensée de plus
en plus complexe, pratiquement jusqu'à l'infini.
Ajoutons qu'à partir du moment où la création
des concepts devient consciente,
elle devient aussi une démarche volontaire.
L'être humain peut produire des efforts pour préciser
des concepts.
Au total, il faut beaucoup d'efforts - inconscients d'abord, conscients
ensuite - pour permettre au bouillon informe de nos neurones d'engendrer
une pensée précise et cohérente.
3. Les concepts, biens sociaux
Si, comme expliqué ci-avant, les concepts naissent à
l'intérieur de chaque cerveau, dès les premiers âges
ils se confrontent, notamment par le langage, aux concepts utilisés
par d'autres cerveaux, eux-mêmes confrontés à
ceux d'autres personnes, etc.
Les concepts deviennent ainsi des biens sociaux, partagés
par des groupes plus ou moins larges de personnes: ils sont modelés
par les cultures (habitudes
de vie et de pensée des groupes sociaux, des sociétés).
A ce titre, de nombreux concepts peuvent naître, évoluer,
mourir, comme le font les mots
du langage.
En fin de compte, il reste peu de concepts propres à une
seule personne. Est-ce à dire que tous les concepts partagés
revêtent tous la même signification pour tous leurs
utilisateurs? Loin de là! Il suffit d'interroger plusieurs
personnes sur le sens qu'elles donnent à certains mots, surtout
lorsqu'il s'agit de mots un peu abstraits...
4. Existe-t-il des concepts innés?
En essayant d'expliquer comment se forment les concepts à
partir de l'expérience, nous avons en quelque sorte donné
la préséance aux biologistes. Ce n'est pas par hasard:
depuis les progrès des neurosciences,
les biologistes ont beaucoup progressé dans la connaissance
du cerveau.
Aux XVIIIème et XIXème siècles, les philosophes
s'étaient beaucoup préoccupés de savoir dans
quelle mesure il existait des concepts innés, "purs",
antérieurs à toute expérience vécue
par un sujet. Kant a posé
ce problème, identifiant quelques concepts qu'il estimait
innés. D'autres, notamment les empiristes,
niaient leur existence. On rapprochera ce débat de celui
qui oppose matérialisme
et idéalisme.
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