Perception, sensations
A première vue, quoi de plus direct, de plus immédiat
que ces informations apportées par nos sens? Le bois dur
de mon bureau, au contact de mon coude. Le frottement continu de
l'air brassé par l'ordinateur. L'odeur d'herbe fraîchement
coupée, montant du jardin. Les couleurs variées de
la nature, encadrées par ma fenêtre. Ce reste de goût
de pain d'épices qui traîne dans ma bouche...
Tout cela paraît si solide, si certain. Je m'y appuie en
permanence pour guider le moindre de mes gestes, comme à
présent tandis que j'écris. On pourrait croire que
ces éléments me sont directement donnés par
mes yeux, mes oreilles, ma peau, mes narines, mon palais. Pourtant,
tout n'est pas si simple. Il suffit de lire mes descriptions, ci-dessus,
pour s'apercevoir que je n'y fais pas état de sensations
brutes. Par exemple, cette odeur qui monte du jardin, il s'agit
bien d'herbe fraîchement coupée. Or, ceci, mes narines
seules ne peuvent le savoir: il a fallu qu'intervienne ma mémoire,
une mémoire très spécialisée puisqu'elle
est capable de comparer le message de mes narines aux souvenirs
de stimulations analogues, accompagnés des circonstances
qui les expliquent: la tonte de l'herbe.
Lorsque nous désignons une sensation, nous la désignons
d'ailleurs très souvent par l'objet ou par le phénomène
qui la crée habituellement: "un bruit de chute",
"une odeur de réséda", "un goût
de citron", "une couleur ardoise",... , disons-nous.
Parfois, nous croyons nous affranchir de ces désignations
trop concrètes: nous parlons par exemple d'un tapis vert.
Mais le vert est-il une sensation? Ou plutôt une convention
adoptée par les humains pour désigner une gamme de
couleurs? Ou encore un intervalle de longueurs d'onde, que je puis
mesurer en faisant appel aux sciences physiques?
Ainsi, l'évidence que j'attribuais à telle sensation
s'évanouit-elle: ou bien, il s'agit d'une interprétation
déjà complexe, faisant appel à la mémoire,
à des conventions scientifiques ou culturelles, au raisonnement
même. Ou bien, il s'agit d'un concept scientifique (une longueur
d'onde, ...), indépendant de mes sens.
Au XIXème siècle, pour progresser dans l'étude
de la perception, il a fallu opérer une distinction fondamentale
entre les sensations (ce qui est donné directement
par les sens) et la perception (l'interprétation
donnée par l'esprit à cette donnée des sens).
C'est ce que narre très bien Michel Meulders dans son livre
"Helmholtz, des lumières aux neurosciences" (Odile
Jacob, 2001), notamment aux pages 251 et 252. Mais le problème,
c'est que cette interprétation est inconsciente, automatique:
seule une démarche scientifique méticuleuse permet
de la démonter.
Par exemple, la physiologie nous montre qu'il existe bien, au
fond de l'oeil, des récepteurs sensibles aux longueurs d'onde
de la couleur verte: nous pourrions donc, finalement, dire que nous
avons une sensation du vert.
En résumé: il nous est impossible d'éprouver
une sensation pure, parce que, pour que nous puissions la ressentir,
il faut qu'elle ait été interprétée
par diverses fonctions de notre cerveau: elle est devenue une "perception".
Etudier la perception,
c'est s'efforcer de comprendre les étapes, nombreuses et
complexes, qui se déroulent entre le premier contact de notre
corps avec un signal extérieur et l'interprétation
finale que nous lui donnons.
Etudier les sensations,
en principe c'est s'intéresser exclusivement à la
première de ces étapes. On parle alors d'une analyse
sensorielle, portant sur des récepteurs et des neurones
spécialisés.
Une dernière remarque: les sensations ne se limitent pas
à nos cinq sens (la vue, l'ouïe, le toucher, le goût,
l'odorat). Il faut tenir compte aussi du sens de l'équilibre.
Par ailleurs, des dispositifs internes nous informent aussi sur
la tension de nos muscles, tendons et ligaments, sur la position
de nos articulations, ainsi que sur des événements
affectant nos organes internes, ou viscères.
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