Qu'est le moi?

Importance

C'est un sentiment puissant et profond qui nous pousse, nous les hommes, à revendiquer chacun notre individualité. Chacun se sent unique, particulier, original.

Si, à certains points de vue et dans une certaine mesure, les hommes peuvent paraître interchangeables (comme dans la vie professionnelle, par exemple), une organisation idéale de la société suppose que nous soyons tous repérés comme des individus, porteurs de caractéristiques, qualités, défauts, compétences, dûment identifiables.

Etre considérés comme des numéros nous est insupportable.

C'est l'importance de ce "moi" qui a poussé Douglas Hofstadter à l'examiner sous plusieurs angles, parfois surprenants, dans son livre "Je suis une boucle étrange" (Dunod, 2008).

ADN, carte d'identité?

Nous savons, par la biologie moderne, que chaque cellule du corps humain contient une précieuse molécule: l'ADN, et que cette molécule est différente pour chaque personne. Elle constitue en quelque sorte sa carte d'identité.

Comme pour la carte d'identité, deux êtres ne peuvent avoir le même ADN. Sauf s'il s'agit de jumeaux ou - cas actuellement exclu - des produits d'un clonage.

L'ADN joue un rôle beaucoup plus actif que la carte d'identité: dès la conception, c'est lui qui guide le développement progressif de l'homme, car il contient la totalité de l'information nécessaire à cet effet.

Le sujet et l'objet

A propos du moi, les philosophes parleront le plus souvent de "sujet", et même de "sujet pensant", siège de l'activité conceptuelle par laquelle il structure nos perceptions. Avec le développement de la pensée scientifique, ils se sont beaucoup penchés sur les relations entre sujet et objets. C'est le cas notamment de Descartes, Kant, Fichte et Husserl.

On peut affirmer que pour comprendre un objet (par exemple par l'activité scientifique), il faut le saisir en lui-même. On dit qu'il faut faire preuve d'"objectivité".

Mais on peut aussi se rendre compte qu'un objet ne peut être décrit, compris, que par un sujet, et qu'il est impossible qu'un même objet soit décrit de manière totalement identique par tous les sujets: toute compréhension est nécessairement subjective.

En poussant cette réflexion à l'extrême, on peut en venir à affirmer, comme Husserl, l'unité du sujet et de l'objet ou, comme Berkeley, que les objets n'existent pas en l'absence d'un sujet pour les percevoir.

Unité

En tout cas, le sujet reconstitue l'unité de l'objet. Lorsque surgit la locomotive, je la perçois par la vue, l'ouïe, le toucher (les vibrations), l'odorat, mais je dois combiner ces perceptions pour obtenir l'objet "locomotive" dans son ensemble.

Ma propre unité n'est pas non plus acquise. On peut même s'émerveiller que je me comporte avec une certaine cohérence. Car mon corps est fait d'organes, rigides ou déformables, mobiles, chacun doté de sa logique de fonctionnement. Il est parcouru de tant de flux: circulation sanguine, aliments, impulsions nerveuses, ... La plupart des cellules y baignent dans une solution liquide en perpétuelle agitation. Des messages électriques et chimiques y circulent en tous sens.

Le cerveau, que nous considérons comme le centre de contrôle de cet ensemble, est lui-même composé de plusieurs parties relativement indépendantes, et par ailleurs les neurones qui le composent sont sujets à des réarrangements permanents.

A l'inverse, on peut aussi considérer cette unité comme normale: le corps humain n'est-il pas issu d'une unique cellule initiale, qui s'est différenciée en un ensemble d'éléments dont la cohésion est garante de sa survie?

Conquête

Est-ce à dire que dès sa naissance - ou même avant? - l'être humain est distinct des autres et conscient de l'être? Non! L'étude du développement de l'homme montre que, à partir des caractéristiques générales de l'espèce et de celles que lui donne l'hérédité par les gènes, les particularités de chaque individu ne se développent que progressivement.

L'embryon est au départ peu différencié. Ce n'est qu'après le 45ème jour qu'il ne peut plus être confondu (quant à sa forme) avec celui d'une autre espèce. Il faut attendre la septième semaine pour que le cortex cérébral commence à se former, mais très vite l'embryon acquiert des propriétés individuelles. A la naissance, le bébé est totalement distinct de sa mère. Il ne cessera ensuite de se singulariser sous l'influence de son potentiel génétique, de ses conditions de vie, de son alimentation, de ses maladies, puis de ses activités propres.

Personnalité

Mais cette unité est aussi une conquête volontaire. Le "moi" se construit de l'intérieur. Au-delà de l'unité biologique, il atteint à une certaine unité mentale et spirituelle. Il devient capable d'une certaine maîtrise psychique de soi-même et du monde qui l'entoure.

Il acquiert une certaine personnalité, qui se distingue par sa force, son originalité, la richesse de sa diversité, ...

Insaisissable?

Le moi n'en reste pas moins, toujours, à conquérir. Et donc, en partie insaisissable, fluctuant. Dix ans passés, c'est toujours moi, mais ce n'est plus le même moi: je ne me reconnais plus. Le moi reste un mystère; d'ailleurs, je ne dois pas le chercher, je dois le construire.

D'autant plus que je ne suis pas le seul à vouloir définir ce fameux "moi": les autres le font peut-être mieux que moi, c'est mon moi apparent, plus fluctuant encore en fonction de l'observateur, de son humeur, de l'état de mes relations avec lui.

Entre mon (mes) "moi" subjectif(s) et mes "moi" apparents, il n'y a pas de "moi" objectif, stable, indiscutable: il n'est qu'une moyenne d'états changeants, le désespoir du biographe.

Les psychologues n'ont pas manqué d'étudier les personnalités. Ils en ont établi de nombreuses typologies. On pourra se référer à ce sujet, par exemple, au cours du prof. Jean Bélanger.

Une boucle étrange

Le sujet, le moi, capable d'examiner et de comprendre des objets, est aussi capable de s'examiner lui-même. Il est doué de réflexivité.

C'est pourquoi Hofstadter, cité plus haut, le nomme "boucle étrange". Il le distingue de la boucle ordinaire, telle que la produit par exemple le "feedback vidéo":

http://www.flickr.com/photos/stoic1/2385990575/

dont l'exemple ci-dessus peut se définir comme

l'image fournie par la caméra qui filme une main et l'écran où apparaît
l'image fournie par la caméra qui filme une main et l'écran où apparaît
l'image fournie par la caméra qui filme une main et l'écran où apparaît
(...)
l'image fournie par la caméra qui filme une main.

Cette image donne une idée de la profondeur de la boucle étrange de notre moi lorsque sa conscience réflexive examine ce moi occupé à examiner ce moi occupé à examiner ce moi occupé à ...

Son destin

Mais ce moi ne vivra qu'une fois, il disparaîtra avec le corps dont il est l'émanation, sauf s'il peut, comme certains le croient, ressusciter un jour ou gagner un lieu purement spirituel où il survivrait séparé de son corps.

Interpénétration ?

Hofstadter, toujours lui, se pose aussi la question de l'interpénétration des âmes (des "moi"): il remarque qu'à force de vivre en commun, ou à force d'empathie, deux humains peuvent en venir à penser de la même façon en certaines circonstances, et qu'en conséquence ils peuvent être considérés comme partiellement identiques.