L'origine biologique du moi

La biologie de l'esprit

Le progrès de la démarche scientifique, au XVIIème siècle, s'est accompagné d'une exigence: celle de la séparation radicale du sujet et de l'objet. Concrètement: de l'esprit et de la matière. C'était la condition de l'objectivité.

Mais voici qu'au XIXème siècle, avec l'étude de la perception et la découverte des aires cérébrales (cliquez ICI pour vous rappeler quelques cas historiques), l'esprit est devenu lui-même objet d'une étude biologique, qui a pris une allure explosive avec le développement des sciences cognitives et des neurosciences à la fin du XXème siècle.

Toujours en évolution

Les êtres vivants et leurs composants sont toujours en mouvement. C'est le cas globalement pour l'évolution des espèces. C'est aussi le cas pour les êtres individuels, qui connaissent chacun une évolution particulière à partir de leur patrimoine génétique, inscrit dans leur ADN.

Le cerveau de l'homme est particulièrement prédisposé à un développement progressif. D'une part, il est organisé en grandes zones bien localisées, partiellement interconnectées et aussi reliées aux organes sensitifs et moteurs qui parsèment le corps. D'autre part, ses milliards de neurones sont en perpétuel mouvement: leurs connexions réciproques sont en réorganisation permanente.

L'émergence

Un tel contexte est favorable à l'émergence de l'esprit. Mais qu'est-ce que l'émergence, telle que la conçoivent aujourd'hui les biologistes? Pour le comprendre, référons-nous à la notion de niveau. La matière se présente en effet à nous en différents niveaux. Dans l'ordre croissant de dimension et de complexité: les particules, les atomes, les molécules, les cellules, les tissus, les organes, les organismes. Enfin, les systèmes écologiques.

Chacun de ces niveaux se construit par une sorte de saut vers la complexité. Il ne semble pas toujours possible, à partir des propriétés d'un niveau, de prédire la manière dont se construira le niveau supérieur. Est-ce une limitation de l'esprit humain? Ou bien l'assemblage de certains éléments met-il en oeuvre de subtiles combinaisons, totalement imprévisibles? C'est ce que l'on appelle émergence. Concept encore très discuté. (On trouvera notamment ICI un résumé de l'état de la question.)

Dans "La possibilité d'une île" (Michel Houellebecq, Poche-Fayard, 2005), le prophète Miskiewicz a conçu le projet de construire un véritable être humain, à partir de ses constituants élémentaires: carbone, hydrogène, oxygène, azote, ... Mieux encore, il invite ses disciples à prendre conscience, en eux-mêmes, du détail de leur propre fonctionnement:

Il leur demanda encore d'aller plus profond que leurs corps, plus profond que leurs peaux, d'essayer par la méditation de visualiser leurs cellules, et plus profondément encore le noyau de leurs cellules, qui contenait cet ADN dépositaire de leur information génétique. Il leur demanda de prendre conscience de leur propre ADN,...

La notion d'émergence peut ouvrir une voie de réflexion affranchie à la fois du déterminisme et du dualisme.

La conscience

La conscience du moi est sans doute précédée par la conscience tout court. L'être humain est capable de réflexivité.

Le "darwinisme neuronal"

Le réseau de nos neurones n'est pas constitué à la naissance: au départ, il s'agirait plutôt d'une soupe de neurones en grande agitation. Quelques connexions principales relient certaines aires cérébrales, mais la majorité des connexions s'établissent au hasard, sous l'influence des messages sensoriels.

Certaines de ces connexions sont plus sollicitées que d'autres, elles ont plus de succès, elles se stabilisent par l'effet d'une sorte de "darwinisme neuronal" (sélection du plus apte). Il se forme des groupes de neurones, et ces groupes finissent par interagir. Ces interactions se multiplient, il se forme des boucles, et les boucles sont à la base du phénomène de conscience (voir "biologie de la conscience").

On peut comprendre aussi que pour pouvoir s'examiner soi-même, l'être humain ne peut vivre dans l'instantanéité pure: il doit pouvoir examiner des faits passés, et donc être doué de mémoire. Et la mémoire permet la coparaison, le classement: ainsi naissent les concepts.