Les marchés en jugement (2)

Les marchés s'imposent aux Etats

Il arrive fréquemment qu'un pays soit littéralement envahi par certains produits que des industries étrangères réussissent à produire à meilleur marché. Dans le passé, ils disposaient de moyens pour s'y opposer, notamment par l'instauration de barrières douanières (interdiction ou limitation des importations, droits de douane) ou par la subsidiation de certaines industries nationales.

Aujourd'hui, ces moyens de défense sont considérés comme contraires au bon fonctionnement de l'économie, car ils aboutissent à favoriser des productions troip coûteuses. De multiples moyens sont mis en oeuvre pour supprimer les barrières douanières:

- l'Organisation mondiale du commerce (OMC, voir ICI);
- l'instauration de zones de libre échange (voir ICI); une des plus récentes est celle qui unit les Etas-Unis, le Canada et le Mexique (Accord de l'économie nord-américaine, ALENA, voir ICI);
- des intégrations plus radicales, comme celle des pays de l'Union européenne (voir ICI).

Tout ceci aboutit à une mondialisation du commerce. Certes, les états adhèrent librement à ces dispositifs: on peut donc considérer que globalement ils y trouvent leur avantage. Mais ils y perdent aussi leur pouvoir, notamment celui de pallier les déséquilibres qu'inévitablement cette ouverture des marchés crée dans certains secteurs.

Cette perte de pouvoir est particuli!rement cruelle sur les marchés financiers, où se négocient les dettes contractées par les états eux-mêmes. Voir ce qui est dit du marché des obligations.

Les marchés financiers opèrent au niveau mondial, et c'est aussi le cas de ceux des matières premières, parmi lesquelles de nombreux produits alimentaires (blé, cacao, ...).

Peut-on tout confier aux marchés?

Permettre qu'un bien ou qu'un service soit échangé sur un marché, c'est permettre qu'il soit soumis à la concurrence. Et la concurrence implique la présence d'opérateurs privés.

Pratiquement tous les produits matériels sont aujourd'hui fabriqués par des personnes ou sociétés privées, et s'échangent sur des marchés plus ou moins organisés. Il n'en est pas de même pour les services. Le débat sur la privatisation des services publics (abordé ICI) n'est pas achevé.

Il ne faut pas oublier que livrer une activité aux lois du marché, c'est accepter que ses producteurs soient principalement guidés par l'objectif de profit. Est-ce tolérable dans des domaines aussi sensibles que la santé, par exemple? En tout cas pas sans un encadrement réglementaire soigneusement calibré pour que le respect de l'homme y conserve son importance dominante.

C'est peut-être ici le lieu de mentionner que les salaires se négocient eux aussi dans le cadre d'un marché: le marché du travail. Bon gré mal gré, c'est alors l'homme lui-même, dans sa composante professionnelle, qui est un objet d'échanges dans le cadre d'un marché.

Monstre froid, à force d'abstraction et de gigantisme

Comme on l'a vu tout au long de ce sujet consacré au marché, celui-ci s'est développé dans de nombeuses directions qui lui ont fait perdre le caractère direct et humain encore présent dans le marchandage ou le marché local: beaucoup de marchés sont devenus abstraits, donnant l'impression d'avoir perdu le contact avec la réalité. Ils sont devenus des monstres froids soumis à des forces difficiles à comprendre, ce qui les rend très sensibles aux rumeurs, aux craintes, aux mouvements d'humeur (ce qui est paradoxal, pour des monstres froids).

Parallèlement, beaucoup de marchés ont atteint la dimension mondiale, et traitent des quantités colossales.

Tout ceci fait que l'individu peut se sentir menacé, voire broyé, par des forces anonymes, et ressentir de ce fait un grand sentiment d'impuissance, peu propice à l'activité économique.

Prédominance du financier

Les moyens financiers jouent forcément un rôle promordial dans les marchés, puisqu'il s'agit en général d'y échanger des biens matériels contre de l'argent, voire des valeurs purement financières contre d'autres valeurs financières.

On verra, dans le sujet "finance", que lorsque la finance en vient à tourner sur elle-même, elle cesse de servir le bon fonctionnement de l'économie, et peut même lui nuire.

La spéculation

Nous sommes tous, peu ou prou, des spéculateurs. Parce que nous avons tous le souci légitime de protéger - et même d'accroître - nos biens.

Cela nous conduit à acheter de préférence des biens dont la valeur ades chances de grandir, et à les revendre lorsqu'elle s'est effectivement accrue, mais risque de stagner ou de décroître, quitte à racheter les mêmes biens lorsque leur prix aura baissé.

Qui nous reprochera de vendre nos dollars lorsqu'ils auront atteint un cours jugé élevé, surtout si on leur prédit un avenir moins rose? Une bonne partie de ce que l'on appelle "spéculation" n'est que la somme de ces comportements individuels qui, l'information aidant, revêtent facilement un aspect grégaire.

Il existe cependant des spéculateurs professionnels. Les plus connus disposent de moyens colossaux et peuvent à eux seuls déstabiliser une entreprise, une monnaie, un Etat.

Exemple d'action d'un spéculateur
(spéculation à la baisse)

- Il possède de grandes quantités d'une monnaie.
- Il décèle, dans cette monnaie, des signes de faiblesse.
- Il en vend une énorme quantité.
- Son exemple crée (en raison de sa notoriété) un mouvement général de vente de cette monnaie.
- Le cours de cette monnaie chute en conséquence.
- Habituellement, le spéculateur en profite pour racheter, à ce cours diminué, une grande quantité de la monnaie en question.

On peut tirer de cet exemple au moins deux conclusions.

  1. Une spéculation ne peut réussir que s'il existe à la base un problème réel: ici, les signes de faiblesse de la monnaie.
  2. La baisse du cours n'est devenue effective que lorsque le mouvement initial de vente a été imité par de nombreux autres intervenants: le spéculateur agit seul, mais il est imité par un grand nombre.

Beaucoup diront qu'une telle opération joue un rôle positif: cette monnaie était surévaluée; à l'issue de l'opération, sa valeur est devenue plus normale. Le rôle du spéculateur peut être utile.

Vente à découvert

Une spéculation peut être plus spéculative qu'une autre. C'est le cas de celles qui sont basées sur une vente à découvert.

Il s'agit pour le spéculateur de réaliser la "spéculation à la baisse" décrite plus haut alors qu'il ne possède pas de dollars. Pour ce faire, il va vendre des dollars au cours d'aujourd'hui ... sans les posséder. Cela est possible dans le cadre d'une vente à terme, c'est-à-dire une vente décidée aujourd'hui (prix et quantité), mais qui ne se réalisera qu'à une date ultérieure que l'on fixe.

Spéculation à la baisse avec vente à découvert

Aujourd'hui
le cours est 40

Un mois plus tard
le cours est 30
Je m'engage à fournir dans un mois 1000 actions (que je ne possède pas) au cours de 40 J'achète 1000 actions au cours de 30.
Je fournis comme promis les 1000 actions, et je touche 40 000.
In fine,
je possède toujours 1000 actions
j'ai reçu 40 000 et payé 30 000
Mon gain est 10 000

Si beaucoup de spéculateurs se livrent en même temps à ce jeu (risqué), cela est de nature à gonfler considérablement les mouvements spéculatifs. C'est pourquoi, dans certaines circonstances, les ventes à découvert sont interdites par des gouvernements.

Les produits dérivés

Imaginons un fabricant de biscuits. Il désire se protéger (p. ex. pendant un an) contre une augmentation du prix de la farine. Pour ce faire, il pourrait conclure avec le meunier un achat mensuel de farine, pour un prix convenu d'avance.

Imaginons que le meunier, qui lui-même redoute un accroissement du prix du blé, refuse une telle convention.

Le fabricant de biscuits peut s'adresser à un financier, qui va en quelque sorte prendre le risque à sa place, en lui vendant un produit dérivé (en l'occurence une option), qui lui garantit de pouvoir (sans obligation) acheter à telle(s) date(s) telle(s) quantité(s) de farine à tel(s) prix.

Cette option est un produit dérivé. Une fois créée, elle peut s'acheter ou se vendre. Sa valeur dépend du prix de la farine, qu'on appelle le "sous-jacent".

On peut très bien imaginer qu'un spéculateur, n'utilisant aucune farine, achète une telle option. Si le prix de la farine augmente, il pourra revendre son option avec bénéfice. Si le prix de la farine diminue, il ne sera pas obligé d'acheter de la farine: il n'exercera pas l'option; sa perte sera égale au prix d'achat de l'option,beaucoup plus faible que celui de la farine.

C'est une des manières de spéculer sur le prix de la farine, donc du blé, san smême en manipuler. Opération particulièrement nocive pour les utilisateurs réels de ces produits, surtout dans les pays pauvres.

Nous devons à l'imagination des financiers une masse de produits dérivés (voir ICI). Les plus compliqués font intervenir plusieurs sous-jacents: ce sont les "produits structurés". Ces produits, parfois très complexes, ne font qu'augmenter l'opacité des marchés financiers. Même les professionnels n'ont pas toujours conscience du contenu réel du produit qu'ils achètent.