Jugement sur le capital
Le capitalisme est en
jugement, et à travers lui le capital.
On lui attribue volontiers la cause de tous les maux et de toutes
les crises de notre économie, et même de notre société.
En même temps, on ne sait par quoi le remplacer, surtout depuis
l'échec de quelques tentatives en ce sens.
Evidemment, ce sujet a été abondamment étudié,
par les plus grands esprits. On a souvent l'impression que s'opposent,
d'une part, un point de vue moral
(mettant l'accent sur une mauvaise répartition des richesses)
et, d'autre part, un point de vue pragmatique visant l'efficacité
dans la production des richesses, comme dans la juxtaposition
des deux positions ci-dessous, relatives au capital agraire:
Jean-Jacques
Rousseau
(1712-1778)
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Jean-Baptiste
Say
(1767-1832)
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Le premier qui ayant enclos
un terrain s'avisa de dire: ceci est à moi, et trouva
des gens assez simples pour le croire, fut le vrai fondateur
de la société civile. Que de crimes, de guerres,
de meurtres, que de misères et d'horreurs n'eût
point épargné au genre humain celui qui, arrachant
les pieux ou comblant le fossé, eût crié
à ses semblables: "Gardez-vous d'écouter
cet imposteur; vous êtes perdus si vous oubliez que
les fruits sont à tous, et que la terre n'est à
personne!" |
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Lorsque les fruits sont à tous et que la terre n'est
à personne, la terre ne produit que des bruyères
et des forêts. |
(cités par Wikipedia ICI)
Le capital financier
Admettre la position pragmatique
de J-B. Say ne doit pas conduire à exonérer le capitalisme
de tout défaut. Une des critiques qu'on lui adresse souvent
est d'être devenu un capitalisme essentiellement financier.
Possesseur des actions représentant ce capital matériel,
le capitaliste a tendance à ne plus s'intéresser qu'à
la valeur boursière de ces actions. Il n'est plus aussi attaché
au capital matériel de l'entreprise ni aux succès
de cette dernière. De surcroît, ces actions représentent
souvent des entreprises disséminées dans le monde
entier, ce qui les rend plus abstraites,
moins attachantes humainement.
C'est donc sous sa forme financière
que le capital est le plus connu, que sa valeur est définie,
et qu'il s'échange de par le monde. C'est aussi sous cette
forme qu'est recherchée sa plus-value.
L'entreprise, dès lors,
de créatrice de produits qu'elle est en principe
devient sans qu'on y prenne garde
une usine à créer de la plus-value financière:
L'équilibre
du pouvoir au sein de l'entreprise est rompu, et les décisions
ne sont plus principalement tournées vers l'accomplissement
de la fonction sociale principale de l'entreprise: produire des
biens et services.
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A quoi les spécialistes
de la finance répondront que le rôle de la finance
est aussi d'assurer des équilibres globaux allant bien
au-delà des entreprises individuelles, et qu'en privilégiant
son intérêt particulier le capitaliste contribue
à ces équilibres.
Un débat à transférer au sujet "finance". |
Les limites du capital privé
L'expérience montre que la propriété privée
du capital convient moins bien dans certaines situations, notamment:
- |
lorsque les objectifs à atteindre
sont à très long terme; |
- |
lorsque les bénéfices ne peuvent
être chiffrés correctement; |
- |
lorsque l'objectif principal est social. |
Par ailleurs, un grand danger du capital privé est qu'il
s'investisse dans des projets où il tire des bénéfices
abusifs des biens collectifs. Certains biens, comme l'eau et l'air,
n'ont été reconnus biens collectifs que très
récemment. La société s'organise peu à
peu pour en facturer l'utilisation lorsque celle-ci dégrade
leur qualité.
C'est pourquoi l'existence d'un capital public est parfois souhaitable.
C'est le cas pour les infrastructures routières et les voies
naviguables.
Le capital et le pouvoir
Le capital, avons-nous dit, doit
s'inscire, au sein de l'entreprise, dans un équilibre entre
trois grandes forces: le capital, la direction, le personnel. Or
les capitalistes, étant en dernière analyse les propriétaires
de l'entreprise et ses initiateurs, occupent a priori une position
dominante dans les organes de direction de celle-ci.
Ils choisissent les dirigeants, qui eux-mêmes engagent le
personnel. Tant que cette prépondérance s'exerce pour
le plus grand intérêt de l'entreprise, elle ne pose
que des problèmes limités. Mais lorsque l'actionnaire
est trop lointain, ou lorsqu'il est mû par des intérêts
extérieurs à l'entreprise, le capital financier cesse
d'être au service de l'économie
réelle.
Renvoyons, ici aussi, au livre de Jean Peyrelevade "Le capitalisme
total" (Seuil, 2005).
Besoin de règles et de lois
Un système économique de type capitaliste ne peut
se passer de lois solides.
Il ne peut d'ailleurs exister et fonctionner sans quelques lois
fondamentales, par exemple celles relatives à la propriété,
aux marchés, à
la concurrence, ...
Dans nos sociétés plus développées,
des lois doivent aussi assurer que le capital financier reste bien
au service de l'économie réelle. C'est un des enjeux
des réformes entreprises suite à la grave crise du
crédit survenue en 2008.
D'autres lois et règlements sont également nécessaires
pour assurer une juste redistribution des richesses et une imputation
correcte des coûts sociaux tels que ceux de la détérioration
des richesses naturelles.
Le risque est que ces lois et règlements engendrent formalisme
et lourdeur, et soient nuisibles au dynamisme de l'économie,
handicapant ainsi sa fonction de créatrice de richesses.
C'est un défi auquel sont confrontés ceux qui ont
la charge, aux niveau national et international, de préparer
ces textes.
En résumé
1. |
Le capital matériel
(terrains, bâtiments, machines, ...) est nécessaire
au fonctionnement de l'économie. Sa croissance est
la conséquence de la croissance économique. |
2. |
La croissance du capital
est assurée par les profits des entreprises. |
3. |
Pour se constituer, évoluer,
s'échanger, ... le capital matériel prend la
forme du capital financier. |
4. |
La propriété
du capital est aujourd'hui essentiellement privée.
Elle est aux mains des capitalistes, par le truchement des
actions. |
5. |
La propriété
du capital a pour conséquence le pouvoir du capitaliste
dans les entreprises. |
6. |
L'entreprise, lieu de production
de biens et services, risque ainsi de voir son objectif transformé
en machine de création de plus-value financière. |
7. |
Des règles et lois
sont donc nécessaires pour assurer:
- |
que la finance reste au service
de l'économie réelle; |
- |
un équilibre des pouvoirs au sein
du sytème; |
- |
une juste redistribution des richesses; |
- |
une imputation correcte des coûts
sociaux. |
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8. |
Ces règles et lois
doivent cependant préserver le dynamisme du système
économique dans sa fonction de créateur de richesses. |
9. |
Malgré l'existence
de capitaux à propriété publique convenant
à des cas particuliers, la propriété
privée du capital s'est avérée jusqu'ici
le système le mieux adapté au bon fonctionnement
de l'économie. |
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