La propriété du capital
Si la nécessité du capital, tel
que défini, est communément admise, il n'en est
pas de même de sa propriété.
Les premiers outils
Pour les premiers outils, il ne semble pas y avoir de problème;
ils appartiennent à ceux qui les ont fabriqués, et
ceux-ci peuvent les vendre, ou les échanger contre d'autres
biens.
Les outils sont le capital de l'artisan; ils lui permettent de
travailler mieux et plus vite.
Il paraît normal qu'il tire un profit de ses outils, et qu'il
couvre leur coût en l'incorporant dans le prix de la marchandise
qu'il produit.
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La possession de tels
outils ne suffit pas à faire de l'artisan un capitaliste
au sens où on l'entendra plus loin!
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Les machines et les usines
L'affaire se complique lorsque les outils deviennent de plus en
plus volumineux et complexes. Prenons l'exemple du moulin
à eau, qui est déjà une machine
transformant l'énergie
hydraulique en force de travail capable d'économiser celle
de plusieurs hommes, pour moudre du grain, mais aussi pour scier,
par exemple.
La construction d'un moulin à eau (voir détail ICI),
avec les bâtiments correspondants, est très coûteuse.
L'artisan qui l'entreprend se trouve face à plusieurs possibilités.
1. |
Soit, il dispose d'assez
de ressources pour la payer. Il sera dès lors pleinement
propriétaire du moulin. |
2. |
Soit, il devra emprunter tout ou partie
de l'argent nécessaire. Le moulin, une fois construit,
sera sa pleine propriété, mais il devra rembourser
son emprunt avec intérêts. S'il est en défaut
de paiement, le prêteur pourrait revendiquer la propriété
pleine ou partielle du moulin. |
3. |
Soit, il trouve une personne en mesure
de construire un moulin à ses frais, et de lui confier
son exploitation moyennant un partage équitable des
revenus. |
Diverses variantes de ces méthodes peuvent être imaginées,
notamment celles où l'exploitant reste propriétare
d'une partie seulement du capital.
La propriété des terres
Chez beaucoup d'espèces animales, le territoire
joue un grand rôle: l'oiseau en marque les frontières
par son chant, et le défend contre les intrus; le renard
y interdit la chasse à ses congénères. Mais
ce monopole n'est imposé qu'aux autres individus de la même
espèce.
L'homme, au contraire, une fois propriétaire d'une terre,
y impose en quelque sorte son règne absolu. Il en maîtrise
le sol, l'eau, les plantes, les animaux, ...
Quel homme eut, le premier, l'idée de poser une clôture,
et de déclarer "cette terre m'appartient"? Nul
ne le sait, mais il fut certes imité par beaucoup d'autres,
selon des modalités variables en fonction des lieux et des
époques.
En s'appropriant une terre, on entend se réserver:
- le droit d'y établir son habitation;
- la pratique de la chasse et de la pêche;
- la jouissance de son paysage;
- bref, tout avantage ou production qu'elle puisse permettre.
(même si dans notre société très organisée
ces droits souffrent de nombreuses limitations)
Au Moyen-Age, un seigneur possédait de vastes territoires
et concédait à des serfs le droit d'en cultiver
des portions délimitées, en échange de redevances
en nature. C'était une séparation entre capital et
travail, sur laquelle nous reviendrons plus loin.
Lors de la conquête de l'ouest, aux Etats-Unis (fin
XVIIIème et XIXème siècles), il était
assez aisé de se faire attribuer une terre et de l'exploiter.
Dès la colonisation, l'immensité du territoire a permis
aux Etats-Unis de considérer la propriété privée
de la terre comme un droit fondamental.
En Grande Bretagne, le General Enclosure Act de 1801 a
permis l'appropriation privée de terres jusqu'alors gérées
collectivement, ouvrant la voie à une agriculture beaucoup
plus intensive.
Aujourd'hui, la propriété des terres peut être
privée (individuelle, collective, ou le fait d'une société)
ou publique (dans le cas des infrastructures, bâtiments administratifs,
parcs, forêts domaniales, ...).
Evolutions jusqu'à nos jours
A partir de ces exemples (du moulin, de la terre), on peut comprendre
comment ont évolué les choses jusqu'à nos jours.
Les machines ont permis l'augmentation du rendement agricole.
Beaucoup d'agriculteurs ont migré vers les villes: ce fut
l'exode rural.
Les machines sont devenues de plus en plus grandes et complexes.
De gigantesques industries se sont créées. Leur construction
et leur développement sont devenus impossibles pour des propriétaires
individuels: le capital est devenu propriété collective
par l'émission d'actions
dont l'achat confère un titre de propriété
d'une partie de l'entreprise.
La grande dissociation. Le pouvoir. Le capitalisme
Ces évolutions ont conduit à la quasi généralisation
d'un modèle d'entreprise
où le propriétaire des moyens de production est distinct
de celui qui met ces moyens en oeuvre, c'est-à-dire de celui
qui dirige et gère l'entreprise.
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C'est justement cette
dissociation entre propriété du capital et mise
en oeuvre de celui-ci qui caractérise et définit
le CAPITALISME. |
Outre cela, les propriétaires sont devenus de plus en plus
anonymes de par le système des actions, qui se négocient
en Bourse.
Se pose alors la question du pouvoir
dans l'entreprise. Il sera exercé de concert par trois acteurs
aux intérêts partiellement convergents (le succès
de l'entreprise) et partiellement divergents:
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les actionnaires, soucieux d'augmenter
la valeur du capital et d'en obtenir un revenu; |
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les dirigeants, soucieux de leur carrière et
de leur rémunération, mais aussi de la réputation
que leur vaut les succès de l'entreprise; |
- |
les travailleurs, soucieux de leur rémunération,
de leur carrière et de leurs conditions de travail. |
C'est dans une tension permanente - que l'on espère féconde
- entre ces trois forces que s'exerce forcément le pouvoir
au sein d'une entreprise, compte tenu des éléments
extérieurs très importants que sont les clients, l'Etat,
les sous-traitants, les concurrents.
On peut, sans trop se tromper, trouver dans l'histoire récente
de la Belgique des exemples d'échecs dûs à la
prépondérance excessive (et non contrôlée)
d'un des trois acteurs de cette tension:
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erreurs des actionnaires
(surtout de leurs leaders financiers): la crise responsable
du démantèlement du holding Fortis en 2008-2009; |
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fraude des gestionnaires:
les fautes graves commises par Lernout et Hauspie (faillite
de leur société de reconnaissance vocale); |
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intransigeance du personnel:
la disparition de la compagnie aérienne Sabena en 2001
(encore que ce cas soit plus discutable, vu le grand nombre
d'acteurs - intérieurs et extérieurs - impliqués). |
Certains soulignent l'existence d'un mouvement de balancier, une
prépondérance ayant été accordée
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dans les années 1940 et 1950: aux entrepreneurs
(gestionnaires); |
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dans les années 1960 et 1970: au personnel; |
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à partir des années 1980: au capital. |
Le livre de Jean Peyrelevade "Le capitalisme total" (Seuil,
2005) est une critique des excès auxquels aboutit, dans la
troisième de ces périodes, une sujétion exagérée
des dirigeants de sociétés à leurs actionnaires.
La critique marxiste du capital
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Marx,
dans sa critique fondamentale du capital, pousse les choses
plus loin: il place le travail à la base de tout. Le
capital lui-même est le fruit d'un travail, il n'est
pas en lui-même un facteur de production. Le profit
du capitaliste n'est pas légitime. Le pouvoir doit
être exercé par les travailleurs.
C'est la base de l'analyse
marxiste du capitalisme.
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